Coordination de ARICY CURVELLO
GILBERTO MENDONÇA TELES
Gilberto MENDOÇA TELES (Goiâs/Brésil, 1931), professeur émérite à l'Université fédérale de Goiâs et à l'Université catholique pontificale de Rio de Janeiro où il enseigne la littérature, est poète et essayiste. Il a publié de nombreux ouvrages dans ces deux domaines.
Il a donné des cours de littérature brésilienne en Uruguay (Institut de Culture urugayo-brésilien ), au Portugal (Université de Lisbonne), en France (Universités de Haute Bretagne, à Rennes, et de Nantes), aux Etats-Unis (Université de Chicago) et en Espagne (Université de Salamanque).
Prix « Machado de Assis » ( pour l'ensemble de son œuvre) décerné par l'Académie brésilienne des Lettres en 1989, il a été élu « Intellectuel de l'année 2002 » (trophée « Juca Pato » de l'Union brésilienne des écrivains de Sâo Paulo), et a été nommé Commandant de l'Ordre de l'Infant Dom Henrique par le gouvernement portugais. Il a reçu la médaille du Mérite Anhangùera du gouvernement de Goiâs, au Brésil. Il est aussi correspondant associé de l'Académie des Sciences de Lisbonne. De nombreux hommages lui ont été rendus en 2005 pour commémorer ses 50 ans de littérature.
A ARTE DE AMAR
Abro o espaço da fome e me abasteço
das coisas mais comuns.
Sou trivial e sóbrio, mas faminto.
Amo o jogo das tripas e dos tropos
e todo dia exercito a competência
da língua retorcida como um búzio
nas vésperas da posse.
E sete vezes sete ( e mais a conta
dos números do mito ) arremeti
meus dardos contra os muros
dessa tebas morena de mil olhos.
E sete vezes sete ( e mais o fôlego
dos gatos guturais ) recomecei
o gesto natural da minha flauta
que a chuva modulava no alicerce,
como a canção de amor que principiava
pelas curvas do ventre nos espelhos.
L’ ART D’ AIMER
J’ ouvre l’ espace de la faim et je m’ en approvisionne
des choses les plus communes.
Je suis trivial e sobre, mais affamé.
J’ aime le jeu des tripes et des tropes
et tous les jours j’ excite ma compétence
la langue tordue comme un buccin
à la veille de la possession.
Et sept fois sept (et plus le compte
des numéros du mythe) j’ ai lancé
mes dards contre les murs
de cette Thèbes brune de mille yeux.
Et sept fois sept ( et plus l’ haleine
des chats gutturaux) j’ ai recommencé
le geste natural de ma flûte
que la pluie modulait dans le fondement,
comme la chanson de l’ amour qui commençait
par les courbes du ventre dans les miroirs.
Ø Đ Φ
( Da antologia bilingüe “Poésie du Brésil”, seleção de Lourdes Sarmento, edição Vericuetos, como nº 13 da revista literária francesa “Chemins Scabreux”, Paris, setembro de 1997. Traduções de Lucilo Varejão, Maria Nilda Miranda Pessoa e outros.O poema acima foi compilado por Olga Savary.)
De
Gilberto Mendonça Teles
La Syntaxe invisible e L´Animal.
Trad. Catherine Dumas et Christine Choffey.
Paris: Éditions Caractères, 2006. 120 p.
ISBN2-85446-407-9
PLURIEL DE NUAGES
S'il est un pluriel de nuages et s'il est des ombres
projetées au texte des cavernes,
pourquoi ne pas plonger, ne pas tonter en ondes
Ia réfraction des poissons et des pierres ?
Il est toujours quelque brume, une face obscure
qui parcourt le poème. Au bilan, un faisceau
de formes biaisées, une presque armure
qui ne resiste guère à ton assaut.
Si quelque jour au contre-jour s'esquisse,
s'il est au fil des temps lumière et vent,
à l'embouchure du fleuve, peut-être, une autre ville
s'offre à tes yeux au soleil levant.
L´important est marcher, cueillir fleurettes,
se faire un total d'(im)possibles parcelles,
parachever certaines, et créer dans le temps
des bribes d'illusions et primevères.
L'important est lire la cavité
des nuages, et scruter leurs non-dits :
le reste, ce sont armes pour ton combat,
fausses alarmes pour tes sens.
(Plural de nuvens, 1984)
EXEGESE
Tu veux te cacher, alors montre-toi.
Dis tout cê que tu sais de la vie.
Racontetonexpériencedesaffaifes,
proclame ta valeur de parasite
et laisse-les discuter dans les casernes
ton fruit bem entre toutes lrs femmes
de bonne famille de cette terre.
Ensuite cache tout dans un poème
et sois ttanquille : personne ne lira.
Si on l'a lu, on n'y verra plus que du bleu,
on trouvera que tout est rimaillerie, symboles,
désirs refoulés, psychanalyses
et que diable encore.
Le poème n' est pás une caverne
scellée aux murs couverts
d'ombres tautologiques.
Le poème est simplement
l'ombre sans caverne, visage épais
de soi-même, parabole la plus droite
de qul écrit tordu,
comme un dieu
gaucher de naissance.
(Plural de nuvens, 1984)
ARCHAÏSME
Dans lê creux de ces vieux mots
on peut encore percevoir Ia plainte
dês choses qui se meurent
ou se retirent,
irréparables.
Ce sont eux, encore qui nous courbent
vers Ia terre et la peur continue
médiévale et quiete dans nos yeux.
Même les oiseaux, impatients,
contournent 1'atmosphère de ce ciei
qui se contracte dans les dictionnaires.
D'eux peut-être nous recevons
cette pierre jetée, ce silence,
cette forme de vie qui s'agite
et se tait, dans une nouvelle unité
intransitive.
(A raiz da fala, 1972)
ARS LONGA...
De même que les dieux somnolent
pour laisser à l'amant le loisir de séduire
et plus de vie, plus de force à qui a plus d'amour,
de même ils sauront décompter du Temps
notre temps de pêche et de poésie.
Quand je regarde le fond d'un puits d'ombres
et que j e vois la ligne se tendre à chaque ferrée,
je commence à comprendre que le temps est reste su suspendu
dans une quietude d'écumes et de tourbillons,
qu'il est restè à battre les eaux comme la courbe
d'une gaule dans le courant ou dans la joie
de rapporter pour déjeuner un bon poisson.
(De loin, les dieux semblent sourire
de mon amer plaisir à montrer
Ia ligne cassée...)
Il est sûr que les dieux dorment
quand je passe la matinée à essayer de pêcher
les mots farouches qui se cachent
dans les trous du silence, ou bien se répètent
dans la durée du risque ou dans l' épaisseur
d'une ligne brisée dans Ia profondeur.
(Sur l'autre marge,
du haut du ravin,
quelqu'un contemple le fond du langage
à la surface du papier blanc.)
(Plural de nuvens, 1984)
NARCISICA
Par un jour tout de grâce,
de lumière dans la caverne,
quand s'équilibre la forme,
dans un art ancien et moderne,
voilà que mon bras s'est tendu
comme s'il gouvernait et régnait,
voulant s'emparer de l'image
de la vie éternelle.
Mais l'image, bien vivante
dans son épaisseur interne,
a pris mon bras et m'a poussé
tout au fond de la citerne.
(Caixa-de-fôsforos, 1999)
CES VINGT DERNIÈRES ANNÉES
Ces vingt dernières années, beaucoup de choses
ont eu leur commencement —
Un lézard
s'est mis à manger la queue verte
d'une feuille sculptée sous la fenêtre
de l'immeuble le plus proche.
Une araignée
a tissé et détissé sa dentelle,
en attendant l'Odyssée d'un insecte
curieux.
Un colibri impatient
s'est mis à aiguiser son long bec
sur le métal de l'été.
Nouveau-né,
un marmot trompetait son noël
en pissant avec indifférence.
Entre grèves, censure et terrorisme,
un éclair arriva d'Internet.
Dans son mouvement, il raya son propre site
et se perdit dans la post-modernité
du millénaire.
Pendant ce temps, l'amour ouvrait
ses e-mails (sans virus), et sa fleur
de signes, ses formes, son art
de scander les voyelles, de jouer les ictus,
de dire le b-a-ba et, pour un peu,
de ne pas révéler dans la consonne le nom
qui fleurit en dedans, au plus intime,
dans le désir le plus profond de poésie.
(Inédit)
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