HENRIQUETA LISBOA
— Née à Lambary (Minas Gérais) en 1901.
Sa poésie, faite cFinquiétude et de rêves tranquilles, fut remarquée en 1930, lorsque l'Académie brésilienne couronna Fun de ses premiers recueils. Ses livres suivants surtout sont remarquables. D'un catho¬licisme avéré, elle atteint parfois cette touche dis¬crète de mysticisme qui la place aux côtés de Cecilia Meireles. Henriqueta Lisboa a traité dans ses confé¬rences de certains aspects de la poésie française ainsi que de la littérature hispano-américaine. En 1937, elle entreprit une campagne véhémente dans le but d'ouvrir aux femmes les portes de l'Académie bré¬silienne.
Professeur à l´Université catholique de Belo Horizonte, et inspecteur d'enseignement.
Bibliographie : Fogo fátuo (Feu follet), 1926; Enternecimento, 1929; Velârio, 1935; Prisioneira da noite, 1941; 0 menino poeta, 1943; A face lívida, 1945; Flor da morte, 1949.
TEXTS EN FRANÇAIS
Extraído de
TAVARES-BASTOS, A. D. La Poésie brésilienne contemporaine. Antologie réunie, préfacée et traduite par… Paris: Editions Seghers, 1966. 292 p. capa dura, sobrecapa. Ex; col. bibl. Antonio Miranda
Je suis prisonnière de la nuit.
La nuit m'a enveloppée dans ses liens, dans ses mousses,
les étoiles m'ont jeté de la poussière sur les cils,
les doigts du clair de lune ont rompu le fil de mes pensées,
les vents marins entourent ma taille.
Je veux les chemins du point du jour et me voici prisonnière,
Je veux fuir au bras de la nuit et me voici égarée.
Où se trouve l'étendue ? Dites-pioi, ô Pèlerins,
où se trouve l'étendue d'où me viennent de mystérieux appels ?
Quelqu'un m'attend et m'attendra à jamais,
car je suis prisonnière de la nuit.
La nuit me berce de ses flûtes qui effleurent le velours des pêches,
la nuit m'énerve avec ses grandes corolles pâlies sur les tiges,
je vois le chèvrefeuille aux petites dents de perle, qui sourit
accroché aux troncs solides,
le froid de la nuit est un désir de joues rapprochées,
il y a de la tiédeur dans les grottes vert-foncé, si proches...
O forces pour avancer ! Pour vaincre l'ivresse de la nuit,
des forces pour fouler l'herbe tendre et moelleuse avec
ses gouttes de rosée,
des forces pour me délivrer des innombrables caresses du vent !
Je ne puis rester dans la nuit comme une rose penchée
car l'homme solitaire viendrait me prendre par la main
croyant que je suis celle qui cherche l'amour.
Je ne resterai pas dans la nuit les cheveux en désordre,
la tunique au vent
car un enfant pourrait supposer que je suis une folle sans gîte,
pas dans la nuit, car la petite vieille tremblotante viendrait
me demander si par hasard je ne suis pas sa fille disparue.
Oh ! Qui m'apprendrait les chemins du point du jour ?
Pourquoi n'allume-t-on pas maintenant, oh oui ! maintenant,
les candélabres des églises ?
Pourquoi n'éclaire-t-on pas les maisons où vivent d'heureuses
fiancées ?
Pourquoi, parmi tant d'étoiles dans le ciel une au moins
ne se détache-t-elle
pour venir se poser sur mon épaule comme un signe
d'espérance ?
J'ai un rendez-vous depuis longtemps fixé...
Mais je n'y arriverai pas car je suis prisonnière de la nuit...
"PRISIONEIRA DA NOITE"
SINGULARITÉ
Au lieu d'aimer simplement
une petite maison et un jardin,
une véranda avec des oiseaux,
une fenêtre où il y a une cruche d'eau sous la rosée du soir,
un pêcher, une chanson, un baiser
— le pêcher de son jardin,
la chanson populaire
et le baiser qu'elle pourrait obtenir —
ma muse aime précisément
ce qui n'existe pas en cet endroit.
(Idem)
SECRET
L'hirondelle sur le fil
entendit un secret.
Dans la cour de l'église
elle le confia à la cloche.
Et la cloche tout haut : «
délem-dem
délem-dem
délem-dem
dem-dem !
Toute la ville est au courant.
« O MENINO POETA »
UN POÈTE S'EN FUT EN GUERRE
Un poète s'en fut en guerre
jour après jour, de longues années.
Il prit part au chaos
à la ruse, à la faim.
Un poète s'en fut en guerre.
Parmi la neige et la mitraille
il connut mondes et hommes.
Des hommes qui tuaient et des hommes
qui seulement mouraient.
Un poète s'en fut en guerre
tuant comme quelqu'un d'autre.
Pour parler de la guerre
il n'a que des larmes.
« A FACE LIVIDA »
JE CHANTERAI LA NUIT ET LA MER
O Nuit aux étoiles hautes
qui brillent depuis des millénaires
comme à l'instant de la genèse !
O Mer que personne n'a parcourue
aux vagues comme des biches
revêches avant l'amour !
O Nuit, ô Mer, ô Virginité,
O Pureté des mains de Dieu !
O Nuit de chaque être,
qui appartins à tous
dans ton immensité de ténèbres
et ton haleine de fleur !
O Mer que tout navigateur
retrouve dans ses plongeons,
et qui surgis des écumes
amères de chaque bouche.
O Nuit, ô Mer, révélation
de Dieu Unique et Innombrable !
(Idem)
LES VIERGES
Les vierges folles dormaient
rêvant de formes de héros.
Les vierges sages veillaient
avec leur lampe à huile.
— Comme tarde la visite
que l'Epoux nous a promise ! —
disaient les vierges folles
aux yeux engourdis.
Les vierges sages disaient,
attentives au moindre bruit :
— Peut-être vient-il cette nuit.
Elles soupiraient de désir,
les folles : — De l'Epoux,
force, esprit et noblesse
seront les plus beaux ornements.
Les veilleuses se taisaient
emplissant d'huile leur lampe.
Les rêveuses rêvaient
de caresses plus que parfaites.
Les sages se soignaient
se parfumant les cheveux.
Plus haut dans la tour
se voyaient les vierges folles,
plus elles s'enivraient de songes.
Sans s'apercevoir que les autres
depuis longtemps l'Epoux les emmena.
(Idem)
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